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Dans le sillage des écrivains voyageurs

Dans le sillage des écrivains voyageurs

Depuis longtemps, la littérature apporte les plus belles pages de voyage. Elles nous font rêver et voyager par procuration. Les écrivains voyageurs sont devenus quelques uns des héros des temps modernes et leurs livres nos atlas.


"Sur les chemins noirs" de Sylvain Tesson

Publié par Axel Corso sur 22 Décembre 2016, 12:44pm

Catégories : #Sylvain TESSON, #la traversée de la France

Le but n'est pas seulement le but, Mais le chemin qui y conduit. ( Tao To King )

Le but n'est pas seulement le but, Mais le chemin qui y conduit. ( Tao To King )

« Sur les chemins noirs » de Sylvain Tesson
 

Éditions Gallimard – 2016
 

135 pages - ISBN 978-2-07-014637

 

La nuit du 20 au 21 août 2014, pris de boisson, Sylvain Tesson chutait lourdement d'une hauteur de huit mètres, d'un toit de chalet savoyard de Chamonix. Quelques heures auparavant, il remettait à la maison d'édition GUERIN son texte qui donnera naissance quelques mois plus tard à son récit « BEREZINA », sa route de Russie qu'il avait entrepris en compagnie des incontournables amis que sont Cédric Gras et Thomas Goisque.
 

J'avais appris la nouvelle par SMS et j'étais demeuré pantois. Les nouvelles sur l'état de santé de Sylvain Tesson restaient réservés, il fallait attendre. J'ai donc attendu, et encore attendu au cours des jours et des semaines qui ont suivi. Je me suis rendu compte que cet homme comptait dans ma vie. Depuis deux décennies, je m'étais abreuvé aux mots de ses récits, lus et relus, puis relus. Il avait été une lanterne de lectures, m'ouvrant les champs littéraires du domaine que j'allais faire mien : les écrivains-voyageurs.
 

Les premières images de lui m'ont alors touchés. Dans la guerre contre l'alcoolisme, il était l'une de ces gueules cassées. Il courait les plateaux pour « BEREZINA », masquait ce rictus dont il se voyait affublé...mais qu'importe, il était bien là, vivant et l'esprit toujours aussi alerte, le bon mot prêt à être dégainé.
 

Je l'attendais donc avec impatience ce nouveau récit. Ce premier de l'ère TESSON deux. Car oui, il ne serait plus tout à fait le même. Il avait partiellement changé. On ne ressort pas tout à fait le même d'une telle expérience qui vous a approché de la mort. Et « Sur les chemins noirs » en était une preuve, il avait traversé la France à pied. Nous étions loin des pistes des hauts plateaux mongols, des bords lacustres sibériens, ou des hautes falaises jordaniennes. Nous sommes dans l’hexagone.
 

L'article paru dans le Figaro magazine avait ouvert mon terrible appétit. Les premiers mots avaient été posés à propos du texte. J'apprenais qu'il avait suivi une sinusoïde à travers le territoire, parcourant les zones que des technocrates avaient définies comme hyper-rurales dans un rapport. Tiens Tiens ! une traversée de la France à pied. Je rapprochais rapidement ce parcours de « Chemin Faisant » de Jacques Lacarrière et des deux récits de Axel Kahn « Penser en chemin » et « Entre deux mers ». L'idée était là. Je lirais donc de concert le nouveau Sylvain Tesson avec le récit de Jacques Lacarrière de 40 ns son aîné de parution. « Des chemins noirs » parallèles à « des chemins blancs ». La ballade littéraire promettait d'être belle !
 

Présentation du livre :

 

Il s'en était fait la promesse sur son lit d'hôpital. Il s'en sort, il marchera. Il traversera la France par des chemins de traverses, éloignées des grandes voies de communication, du modernisme et des centres urbains qui balafrent les territoires. A sa sortie de l'hôpital, il ne rejoindra donc pas les centres de soins qui lui sont conseillés. Il se reconstruira, se rééduquera par la marche, ce mouvement dans lequel il trouve du plaisir.

 

Du 24 août au 08 novembre 2015, du Mercantour à la presqu'île du Cotentin, il part à la découverte d'une France rurale, de celle que nos politiciens estiment être sous développée, abandonnée, mais qui à ces yeux est préservée de la laideur distillée par des années d'une politique d'aménagement du Territoire.

 

Il nous relate dès lors son journal de bord, le journal de sa rééducation par la marche qui le mènera vers un sentiment de libération intense. Il a de nouveau « recours aux forêts » comme le dit Ernst Junger, mais là, contrairement à l'immobilité qu'il cherchait dans sa cabane sibérienne, il passe par le rabotage de la Route.


 

Mon point de vue :
 

Ce nouvel opus est bien un récit de voyage, je rassure tout le monde, où vous trouverez des paysages, un bestiaire et des rencontres. Ce récit peut être lu sous d'autres angles.
 

Car « les chemins noirs » de Sylvain Tesson ne sont pas uniquement la représentation graphique de l'itinéraire qu'il a pu découvrir sur ses cartes IGN au 1/25000 ème, ni les chemins embroussaillés, la piste rurale, qui serpentent dans la Nature et qu'il a pu emprunter. Ils sont tout d'abord plus intérieurs. Ils relèvent plus de son intimité. Ce sont ses chemins de reconstruction, de rééducation après avoir vécu sous les coups d'un knout personnel et des ivresses alcooliques, et au terme desquels il a retrouvé un appétit de vivre, la gaîté du marcheur, même si la nostalgie des ivresses est patente au fil de l'ouvrage toutefois. Le Viandox n'a pas réussi à supplanter la Vodka.
 

En marchant, il n'a pas fait aussi que mettre un pas devant l'autre. Il a fait également un « pas de côté » pour fuir une certaine société dans lequel le destin l'avait forcé à se maintenir durant les quelques mois de convalescence, et réfléchir de façon mélancolique sur le devenir d'un Monde, d'un monde périurbain plus exactement, et ce depuis les années 60. D 'où une teinte nostalgique. Non pas un « c'était mieux avant », un passéisme mal senti, mais une nostalgie en terme d'esthétique du paysage principalement. Pour lui, le paysage s'est enlaidi et ces chemins noirs servent à tracer une route à travers cette laideur.
 

C'est enfin une expression politique de la marche, une critique de l'époque moderne vers laquelle nous tendons. Il s'agit là d'un livre sur la stratégie du retrait, se déporter hors des flux, une sorte de déconnexion. Comment devenir un guerillero de la modernité.
 

Vous l'aurez compris, j'ai adoré. Et maintenant, me direz vous, quel rapport avec le livre de Jacques Lacarrière ? Et bien, cet opus de Tesson me semble un prolongement possible, voire logique, à « Chemin faisant ». Au début des années 70, Jacques Lacarrière traversait la France rurale à pied, sac au dos, selon une diagonale allant des Vosges aux Corbières. Son récit dresse, à l'instar des « chemins noirs », une photographie de la ruralité française au sortir des trente glorieuses. On y entrevoit déjà les premiers signes de cette politique d'aménagement du Territoire, la désertification, l'exode.
 

Mon conseil sera donc de lire successivement ces deux ouvrages et de les compléter avec les deux livres de Axel Kahn mentionnés supra.


 

Qui est Sylvain Tesson ? ( source Babélio)

 

Géographe de formation, il effectue en 1991 sa première expédition en Islande, suivie en 1993 d'un tour du monde à vélo avec Alexandre Poussin. C'est là le début de sa vie d'aventurier. Il traverse également les steppes d'Asie centrale à cheval avec l'exploratrice Priscilla Telmon, dont il fut le compagnon pendant de nombreuses années, sur plus de 3000 km du Kazakhstan à l'Ouzbekistan. En 2004, il reprend l'itinéraire des évadés du goulag en suivant le récit de Slavomir Rawicz : The Long Walk (1955). Ce périple l'emmène de la Sibérie jusqu'en Inde à pied.

Depuis quelques années, il écrit des nouvelles, dans un registre poétique où souvent l'absurde des situations humaines est montré avec humour. Il collabore également à diverses revues, notamment "Lire" depuis 2016.

Aujourd'hui, Sylvain Tesson est membre d'honneur de l'INREES, Institut de recherche sur les expériences extraordinaires. Il est aussi administrateur de la Guilde européenne du raid et du comité directeur de la Société des explorateurs français.

Ces derniers ouvrages lui ont valu la reconnaissance critique et publique. "Une vie à coucher dehors" chez Gallimard a reçu le Goncourt de la nouvelle en 2009, et "Dans les forêts de Sibérie" du même éditeur, le Prix Médicis essai 2011.

Passionné d'escalade, il chute d'une maison à Chamonix en août 2014, juste après avoir transmis à son éditeur le manuscrit de "Bérézina" et est placé en coma artificiel. Il a depuis retrouvé la santé.

Bérézina, qui sort en janvier 2015, conte le récit de son voyage en side-car sur les traces de la Grande Armée lors de la retraite de Russie.
 

Bibliographie :( source Wikipédia)

 

1996 : On a roulé sur la terre, avec Alexandre Poussin, Laffont (ISBN 9782744104220)

1998 : Himalaya : visions de marcheurs des cimes, Transboréal

1998 : La Marche dans le ciel : 5 000 km à pied à travers l'Himalaya, avec Alexandre Poussin, Laffont

2001 : La Chevauchée des steppes : 3 000 km à cheval à travers l'Asie centrale, en collaboration avec Priscilla Telmon Robert Laffont, février 2001, (ISBN 978-2-221-09370-2) Pocket, mars 2013 (édition revue et complétée), (ISBN 978-2-266-22972-2)

2004 : L'Axe du loup : de la Sibérie à L'Inde, sur les pas des évadés du Goulag Robert Laffont, novembre 2004, (ISBN 978-2-221-10041-7) Pocket, février 2007, (ISBN 978-2-266-15718-6)

2006 : Éloge de l'énergie vagabonde Éditions des Équateurs, décembre 2006, (ISBN 978-2-849-90055-0) Pocket, janvier 2009, (ISBN 978-2-266-17874-7)

2015 : Berezina, Guérin, (ISBN 978-2-352-21089-4)

2016 : Sur les chemins noirs, Gallimard, (ISBN 978-2-070-14637-6)

2002 : Carnets de steppes : à cheval à travers l'Asie centrale, en collaboration avec Priscilla Telmon, Glénat

2005 : Sous l'étoile de la liberté. Six mille kilomètres à travers l'Eurasie sauvage (photographies de Thomas Goisque), Arthaud

2007 : L'Or noir des steppes : voyage aux sources de l'énergie, en collaboration avec Thomas Goisque (photographies), Arthaud

2008 : Lac Baïkal : visions de coureurs de taïga, en collaboration avec Thomas Goisque (photographies), Transboréal

2009 : Haute Tension : des chasseurs alpins en Afghanistan (photographies de Thomas Goisque et illustrations de Bertrand de Miollis), Gallimard

2012 : Sibérie ma chérie (photographies de Thomas Goisque et illustrations de Bertrand de Miollis), Gallimard Loisirs

2000 : Les Métiers de l'aventure et du risque, Hachette

2005 : Petit traité sur l'immensité du monde, Éditions des Équateurs

2011 : Dans les forêts de Sibérie, Gallimard Prix Médicis essai 2011

2012 : Géographie de l'instant, Éditions des Équateurs

2000 : La Seconde Côte d’Adam, dans Histoires de montagnes, collectif, Sortilèges

2002 : Nouvelles de l'Est, Phébus

2004 : Chroniques des bords du Rhin, Éditions du Verger

2004 : Les Jardins d'Allah, Phébus

2009 : Une vie à coucher dehors, Gallimard, (ISBN 978-2-070-12466-4) et/ou (ISBN 978-2-072-02358-3) Prix Goncourt de la nouvelle 2009

2010 : Vérification de la porte opposée, Phébus

2014 : S'abandonner à vivre, Gallimard, janvier 2014, (ISBN 978-2-070-14424-2)

2004 : Katastrôf !, Bréviaire de survie français-russe, Mots et Cie

2008 : Aphorismes sous la lune et autres pensées sauvages, Éditions des Équateurs

2011 : Ciel mon moujik ! Manuel de survie franco-russe, Chiflet et Cie

2011 : Aphorismes dans les herbes et autres propos de la nuit, Éditions des Équateurs

2004 : Les Pendus, Le Cherche Midi

Citation du livre : (page 140)
 

« J'avais rêvé cette balade de France dans un lit, je m'étais levé pour l'accomplir, elle s'achevait. C'était un voyage né d'une chute. Certains chemins avaient été suffisamment labyrinthiques et solitaires pour mon goût. Y flottait encore l'odeur des aubépines et des écorches fraîches. J'avais assorti ma balade de quelques trébuchements. Mon arrivée consistait à m'approchait des parapets pour y solder mes comptes et oublier les infortunes. Désormais, s'ouvraient de nouveaux chemins noirs : ceux que je devais inventer, hors du 25000 ème. Des fuites, des replis, des pas de côté, de longues absences lardées de silence et nourries de visions. Une stratégie de rétractation. «

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